Crame pas les blases, dans l'argot des cités, veut dire donne pas les noms. Si l'on se fait prendre par un flic, un contrôleur de la RATP ou un prof, on ne balance pas. On ne collabore avec aucune autorité. Comment briser cette loi du silence quand on enseigne le français en zone sensible à des élèves qui deviennent hypersensibles, voire agressifs dès qu'on prononce le mot devoir ? Grâce à la poésie. Pendant deux ans, des élèves de sixième et de cinquième ont fait rimer le monde clos de la banlieue avec le plaisir des mots, inventant une nouvelle mythologie urbaine où se croisent dealers, bolosses, condés et racailles : un monde féroce, cru, émouvant et drôle. Crame pas les blases est un instantané de ce que pensent et ressentent les enfants de la société périphérique, un reportage sur la banlieue, par ceux qui y vivent, un exemple de ce que peuvent faire des élèves considérés comme irrécupérables.
Quel est le point commun entre un Turc, une Malienne, une Kabyle, une Coréenne, une Serbe et une Bretonne ? A Jean-Jaurès, collège de la banlieue parisienne, c'est le français. Pas celui de l'Académie, mais une langue vivante, inventive, en constante ébullition, une langue faite pour « tailler » : pour faire mal et pour faire rire.
Boris Seguin et Frédéric Teillard, tous deux professeurs de français, ont élaboré avec leurs élèves un dictionnaire de plus de quatre cents mots avec des exemples qui sont autant de gros plans sur la vie quotidienne des adolescents. On y découvre une langue que les enfants des cités, Slimane l'Engraineur, Fatima la Fugueuse, ou Magid la Stoke tentent de conquérir : un français qu'ils tournent et retournent, tordent et vivifient.
Ce livre est aussi une chronique à la première personne. Mieux qu'une journée portes ouvertes, il raconte l'école au jour le jour, de la pré-rentrée aux conseils de fin d'année, en passant par les plateaux de télévision. Il dit avec force et humour que la banlieue est le laboratoire passionnant où se construit la société de demain, que l'école est un lieu où l'ignorance est légitime, que ce soit celle de la géographie ou celle des bonnes manières et que la langue est au coeur du processus d'exclusion.
Les adolescents des cités ont un message à transmettre.
Les Céfrans parlent aux Français le décodent pour tous.