« Ce projet ne vise pas seulement à révéler les impensés accumulés dans la pensée dite occidentale à l'égard notamment de ce qu'il a construit sous les noms d'"Islam" et de "monde arabe" ; il s'agit aussi de mesurer les dérives idéologiques inavouées [à l'égard] de cet Islam devenu indéchiffrable à force d'être manipulé tant par les musulmans que par ses interprètes occidentaux. Tout reste à repenser, à réécrire, à revisiter sur l'islam comme religion, [...] tradition de pensée, déploiements interculturels dans le monde [ou] force de soulèvement historique des masses populaires partout abandonnées aux pratiques de "la pensée sauvage". »Présenter l'histoire de la pensée d'expression arabe depuis l'émergence du fait coranique jusqu'à nos jours, tel est l'objet de cet ouvrage. Alors que l'on oppose de plus en plus fréquemment l'« Occident » à l'« Islam », il situe, dans un cadre historico-critique, la place de la pensée arabe dans une histoire générale de la pensée et des cultures méditerranéennes, par-delà toutes les grandes ruptures historiques entre les deux rives de la Méditerranée.
Savant à la pensée profonde, Mohammed Arkoun (1928-2010) était également un intellectuel engagé. Son analyse serrée des processus à l'oeuvre dans l'islam d'hier était indissociable de ses appels répétés à une réforme des sociétés islamiques contemporaines. Il n'a cessé de porter ce message dans les divers colloques où il était convié, y compris là où l'on ne s'attendrait guère à croiser un islamologue : à un congrès de psychanalystes lacaniens, dans des conférences sur la condition féminine...Il avait choisi de consacrer les dernières années de sa vie à retravailler les textes issus de ces rencontres, qui sont ici publiés dans leur version définitive. Traitant de la nécessité de la réforme, voire de la « subversion » de l'islam, de l'ouverture lacanienne à la parole et à la « raison émergente », de la condition féminine en islam ou encore du rapprochement entre sunnites et shî`ites, ils montrent combien la pensée de Mohammed Arkoun est plus que jamais féconde pour penser notre époque.
Mohammed Arkoun (1928-2010) est l'une des plus grandes figures de l'islamologie contemporaine. Son approche scientifique, centrée sur la « critique de la raison islamique », a fait de lui le précurseur de tous ceux qui veulent en finir avec les impasses mortifères du littéralisme en se fondant sur l'apport des sciences humaines. LectureS du Coran, paru initialement en 1982, est un ouvrage-clé de sa démarche : il mobilise toutes les ressources de la linguistique, de la sémiotique, de l'histoire des mentalités et de la sociologie pour déconstruire le discours classique sur le Coran. Ce faisant, il aborde les sujets les plus brûlants : statut du Livre comme parole de Dieu, shar'a et condition de la femme, jihd, islam et politique... et montre en quoi toutes les lectures du Coran sont nécessairement des « constructions humaines ».
Mohammed Arkoun considérait ce livre comme la matrice de son oeuvre et a consacré les dernières années de sa vie à le remanier et à l'enrichir. Son épouse, Touria Yacoubi-Arkoun, a pu réunir les ultimes versions de ces textes afin de permettre à cette édition définitive de voir le jour. Le résultat témoigne de la fécondité des pistes de recherches ouvertes près d'un demi-siècle plus tôt : cette oeuvre de visionnaire demeure d'une importance cruciale dans la lutte contre les fondamentalismes.
Dans ce recueil d’entretiens audacieux, Mohammed Arkoun évoque les débuts de son parcours intellectuel et personnel avant d’aborder avec intelligence et justesse des questions d’ordre scientifique, historiographique, épistémologique et politique. Influencé par une forte identité kabyle et un héritage philosophique en filiation directe avec des penseurs tels que Foucault ou Bourdieu, il se révèle un penseur engagé. Parfois iconoclaste, n’hésitant pas à remettre en question le discours actuel sur l’islam, il porte un regard éclairant sur les interrogations qui entourent une nécessaire déconstruction de l’islam aujourd’hui. Guidé par une parole que seule contraint l’exigence de vérité, le texte confronte personnages historiques et figures symboliques, parole de Dieu et parole de l’islam, et pose la question d’une ankylose des savoirs islamiques. Ces entretiens permettent ainsi de mieux rendre compte, sous la forme d’un texte accessible et vivant, des multiples facettes de la pensée de cet intellectuel qui se place en marge du discours modéré de nombreux musulmans.