Depuis quand les humains ont-ils été pris du désir de confier à la matière une sensation, une émotion ?
Que nous disent toutes les formes de créativité des diverses humanités identifiées à ce jour, celle de Sapiens, de Dénisova ou de Néandertal sinon cet éternel recommencement des oeuvres de l'esprit et du geste ?
Dans ce Manifeste intemporel des arts de la préhistoire, Pascal Picq célèbre l'impérieuse nécessité de la création des humains depuis la nuit des temps, et nous offre une démonstration éblouissante des richesses de l'évolution.
La route des thés oscille entre nomadisme et sédentarité, elle est faite d'étapes, comme autant de points d'attache dans un mouvement perpétuel. Elle symbolise le voyage. Les buveurs de thé sont une confrérie dont fait partie la grande voyageuse Lucie Azema.
L'autrice parcourt l'histoire de ce breuvage millénaire, des premières caravanes aux colonisations, de ses usages à ses significations. Elle explore cette tension entre arrêt et mouvement, qui nous incite à embrasser nos propres errances et nos ancrages, à approcher une philosophie du voyage par étapes, à naviguer en suivant les aléas des chemins et des rencontres, à emprunter des routes aussi bien physiques qu'imaginaires.
« De quelle résistance, de quelle guerre parlerais-je sinon de celles que j'ai vécues ? » écrit Colette en 1945. À cette date, Brasillach, Guitry et Céline s'étonnent bruyamment que la grande écrivaine française soit épargnée par l'opprobre qui les frappe et les sanctions pénales qui les menacent. N'ont-ils pas tous écrit dans des journaux de la Collaboration ?
« Confinée et occupée à la fois », pourrait répondre la romancière qui, à l'instar de la majorité des Français, chercha à survivre sans se commettre avec l'occupant ou ses complices, gérant dans l'angoisse deux écueils majeurs : son immense notoriété qui l'exposait et la menace de la déportation pour son dernier amour, qui était juif.
Alors que Colette est plus que jamais au coeur de notre littérature, cette période de la guerre restait dans sa vie empreinte d'un halo de mystère et de beaucoup de rumeurs. Bénédicte Vergez-Chaignon, passionnée par son oeuvre, s'est emparée du sujet. Et son enquête nourrie d'archives en grande partie inédites nous entraîne dans le quotidien de la célébrité, dans les pas d'une Colette bien plus sensible à l'actualité qu'elle n'a jamais voulu l'avouer, bien plus fine politique qu'elle ne consentait à le reconnaître...
Les femmes font aujourd'hui du bruit ? C'est en regard du silence dans lequel les a tenues la société pendant des siècles. Silence des exploits guerriers ou techniques, silence des livres et des images, silence surtout du récit historique qu'interroge justement l'historienne. Car derrière les murs des couvents ou des maisons bourgeoises, dans l'intimité de leurs journaux ou dans leurs confidences distraites, dans les murmures de l'atelier ou du marché, dans les interstices d'un espace public peu à peu investi, les femmes ont agi, vécu, souffert et travaillé à changer leurs destinées.
Qui mieux que Michelle Perrot pouvait nous le montrer ? Historienne des grèves ouvrières, du monde du travail et des prisons, Michelle Perrot s'est attachée très tôt à l'histoire des femmes. Elle les a suivies au long du XIXe et du XXe siècles, traquant les silences de l'histoire et les moments où ils se dissipaient. Ce sont quelques-unes de ces étapes que nous restitue ce livre.
La Russie est-elle européenne ? Qu'est-ce qu'être russe ? Depuis le XVI siècle, la Russie entretient un lien complexe et ambigu avec l'Europe occidentale. À la tête d'un véritable État-continent s'étendant de l'Europe à l'Asie, les tsars de Russie puis les leaders soviétiques n'ont cessé de s'interroger sur l'identité de leur pays et les relations à nouer avec l'Europe, tour à tour perçue comme modèle de modernité et d'efficacité ou comme source de danger et de subversion. D'Ivan le Terrible à Vladimir Poutine, les décideurs russes ont été confrontés à ce « dilemme » : fallait-il imiter l'Europe pour mieux la dépasser, ou bien s'en protéger voire la rejeter au nom de l'eurasisme ?
D'une plume alerte, en s'appuyant sur un vaste ensemble documentaire, Marie-Pierre Rey explore les tourments de l'identité russe, à la croisée de l'histoire des relations internationales et de l'histoire des représentations, pour mieux décrypter les positions géopolitiques de la Russie actuelle.
Les lieux communs ont la vie dure. Ainsi cette idée d'un Moyen Âge dualiste, qui aurait instauré une guerre entre le corps et l'âme : d'un côté, un corps coupable, source du péché ; de l'autre, une âme pure tournée vers Dieu.
Réfutant cette construction, Jérôme Baschet montre que le Moyen Âge chrétien a développé une pensée positive du lien entre l'âme et le corps, soucieuse de valoriser l'unité psychosomatique de la personne. Un tel modèle a permis de penser l'être humain mais aussi l'ordre social dont l'Église est alors l'institution dominante.
Décloisonnant sa réflexion et dépassant les limites du Moyen Âge, l'auteur s'attache aux différentes perceptions de la personne dans d'autres cultures, de la Chine impériale aux sociétés amérindiennes en passant par l'Afrique ou la Nouvelle-Guinée.
Un voyage comparatiste indispensable pour évaluer la singularité des conceptions occidentales de l'humain et mettre à distance l'idée moderne du moi.
Parmi les opposants à l'Empire, aucun ne fut aussi sévèrement traité que Germaine de Staël. De 1803 à 1812, l'auteure de Delphine et Corinne ou l'Italie fut bannie, confinée à quarante lieues de Paris puis condamnée à ne plus quitter son château de Coppet en Suisse.
Tout avait pourtant bien commencé et la jeune femme n'avait pas ménagé ses efforts pour séduire le Héros d'Italie. Jusqu'à ce jour du 3 janvier 1798 où leur premier face-à-face donna le ton à ce qui deviendra un affrontement sans fin entre l'Empereur et la femme la plus influente de son temps, au coeur de toutes les expériences, de toutes les réflexions sur les Lumières ou la Révolution. En suivant ce duo improbable, aventureux et impétueux, ce livre revisite la vie mouvementée de Germaine de Staël. Ses amours et ses amitiés éclairent la personnalité de celle que l'on a surnommée depuis l'impératrice de la pensée, éprise du grand général. Tout aurait dû rapprocher ces deux êtres, amoureux de gloire et désireux d'entrer dans l'histoire. Dans un récit vivant, Annie Jourdan raconte ce combat étonnant et méconnu. À l'épreuve du bannissement, Germaine de Staël fera la découverte de la censure et des limites du pouvoir impérial.
Traduit dans plus de vingt langues, ce livre est le bréviaire indispensable de qui veut se familiariser avec le Moyen Âge. Car, entre la légende noire d'un "âge des ténèbres" et la légende dorée d'une "belle époque" médiévale, il y a la réalité d'un monde de moines, de clercs, de guerriers, de paysans, d'artisans, de marchands ballottés entre violence et aspiration à la paix, foi et révolte, famine et expansion. Une société hantée par l'obsession de survivre et qui parvient à maîtriser l'espace et le temps, à défricher les forêts, à se rassembler autour des villages, des châteaux et des villes, à inventer la machine, l'horloge, l'Université, la nation. Ce monde dur et conquérant, c'est celui de l'enfance de l'Occident, un monde de « primitifs » qui transforment la terre en gardant les yeux tournés vers le ciel, qui introduisent la raison dans un univers symbolique, équilibrent la parole et l'écrit, inventent le purgatoire entre l'enfer et le paradis.
Qui ne s'est jamais interrogé sur les premières fois fondatrices de l'humanité ? Premier outil, premier feu, premier dieu, premier mot, premier couple, premier enterrement...
Ces premières fois culturelles, techniques et matérielles, qui constituent notre mémoire collective, prennent la forme de trente récits aussi vivants que passionnants. En s'appuyant sur les connaissances les plus actuelles en préhistoire et en évolution humaine, Nicolas Teyssandier nous convie à un voyage vertigineux dans le passé à la rencontre de nos ancêtres, celles et ceux qui ont fait de nous des humains.
"Les Français connaissent mal celle qui fut la mère de Marie-Antoinette. Pourtant, Marie-Thérèse d'Autriche (1717-1780) est l'une des grandes figures tutélaires de son pays. Je l'ai découverte par sa correspondance privée, dans laquelle elle se révèle guerrière, politique avisée, mère tendre et sévère.Mais cette mère-là n'est pas n'importe laquelle, c'est une femme au pouvoir absolu, hérité des Habsbourg, qui régna pendant quarante ans sur le plus grand empire d'Europe. Et, ce faisant, elle eut à gérer trois vies, parfois en opposition les unes avec les autres : épouse d'un mari adoré et volage, mère de seize enfants, souveraine d'un immense territoire. Cette gageure qu'aucun souverain masculin n'eut à connaître, j'ai voulu tenter de la comprendre : qui fut cette femme et comment elle put - ou non - concilier ses différents statuts. Prendre la mesure, en somme, de ses forces et faiblesses, de ses priorités et inévitables contradictions. Ce portrait, qui puise à des sources abondantes et souvent inédites, ne saurait être exhaustif : Marie-Thérèse garde bien des mystères. Cette femme incomparable en son temps, qui inaugure une nouvelle image de la souveraineté et de la maternité, ressemble, sous certains aspects, aux femmes du XXIe siècle."
E. B.
Oublions les westerns. Entre le XVI et le XIX siècle, l'Amérique du Nord a été sillonnée par des aventuriers de langue française. Coureurs de bois, trappeurs, interprètes, ces hommes, en quête de fourrures, se sont constamment mêlés aux Amérindiens.
En partant sur la piste de dix voyageurs, originaires de la France ou du Canada, Gilles Havard fait surgir des scènes saisissantes : adoption d'un jeune Français par des Iroquois, pirogues chargées de peaux de castor descendant la rivière Missouri, retrouvailles lors des grandes haltes de caravanes dans les Rocheuses... À travers ces destins hors du commun se dessine une autre histoire de la colonisation européenne, occultée par le récit américain de la conquête de l'Ouest : une histoire d'échanges et de métissages, dont les têtes d'affiche sont des Français et des Amérindiens.
S'appuyant sur des récits de voyage, des archives et des témoignages de descendants, enrichi de cartes et d'images inédites, cet ouvrage donne vie à un monde jusqu'ici invisible.
Du monumental vase de Vix jusqu'au disque de Nebra, la plus ancienne carte du ciel connue, en passant par les premiers temples de l'humanité en Turquie ou les tunnels regorgeant d'offrandes de Teotihuacán, jamais autant de trésors n'ont été découverts que ces dernières décennies. C'est cette richesse fascinante que Jean-Paul Demoule entend explorer avec nous dans cet ouvrage.
Mais au-delà de l'or des Scythes ou des pharaons, des « trésors » non moins estimables sont là, sous nos pieds, insignifiants en apparence - comme ce brin de cannabis trouvé dans une tombe chinoise - sinon invisibles - telle la séquence ADN qui a caractérisé l'homme de Denisova.
Fervent défenseur de l'archéologie préventive, l'auteur montre qu'il importe de sauver ces merveilles, mais aussi de les penser pour que des mots comme « civilisation », « peuple », « culture » ou « migration » ne soient pas détournés. Fouiller, c'est plus que jamais éclairer notre avenir.
Au temps de la voile, le métier de marin est le plus complexe de tous, celui pour lequel l'erreur pardonne le moins. Aussi le jour où l'on franchit pour la première fois l'échelle de coupée est-il déterminant. C'est bien plus qu'un milieu naturel qu'il s'agit de dominer désormais : une langue qui est celle de la navigation, une manière de voir et de réfléchir, un rythme de travail et de veille, l'étroitesse encombrée du bord sous l'immensité du ciel et des flots, la violence des hommes en plus de celle des éléments. Tout le monde n'y résiste pas, mais l'attraction de la mer demeure.
L'historien Olivier Chaline nous raconte comment, dans la France des XVII et XVIII siècles qui se lance plus que jamais sur les océans, tant d'enfants et de très jeunes hommes ont appris la mer.
À partir de 1750, on a peu à peu cessé, en Occident, de tolérer la proximité de l'excrément ou de l'ordure, et d'apprécier les lourdes senteurs du musc.Une sensibilité nouvelle est apparue, qui a poussé les élites, affolées par les miasmes urbains, à chercher une atmosphère plus pure dans les parcs et sur les flancs des montagnes. C'est le début d'une fascinante entreprise de désodorisation : le bourgeois du XIXe siècle fuit le contact du pauvre, puant comme la mort, comme le péché, et entreprend de purifier l'haleine de sa demeure ; imposant leur délicatesse, les odeurs végétales donnent naissance à un nouvel érotisme. Le terme de cette entreprise, c'est le silence olfactif de notre environnement actuel.Chef-d'oeuvre de l'histoire des sensibilités, Le Miasme et la Jonquille a été traduit dans une dizaine de langues.
L'univers est gouverné par une loi générale de la putréfaction. Dieu, les anges et toutes les créatures naissent du chaos, comme les vers apparaissent à la surface du fromage. Nous sommes des dieux, et tout est Dieu : le ciel, la terre, l'air, la mer, les abîmes et l'enfer...
Tel est le credo qu'un certain Menocchio, meunier du Frioul dans l'Italie du XVIe siècle, eut à défendre devant le Saint-Office avant de périr sur le bûcher. Lecteur infatigable, exégète à ses heures, hérétique malgré lui, il s'était constitué une bibliothèque au hasard des rencontres, hors de toute discipline culturelle, prélevant librement dans les textes, élaborant sa propre vision du monde.
Avec cette étude magistrale, devenue un classique de l'historiographie, Carlo Ginzburg inventait la micro-histoire et renouvelait la connaissance d'un monde resté longtemps mystérieux, celui de la culture populaire.
Connaissez-vous la triste fin de Jules César ? les goûts littéraires et culinaires d'Auguste ? Savez-vous que Néron, pendant le grand incendie qui ravagea Rome en 64 après J.-C., récitait des vers sur la prise de Troie ? Caligula a-t-il vraiment fait consul son cheval ? Fourmillant de détails et d'anecdotes croustillantes, les Vies des douze Césars, rédigées par Suétone vers 120 après J.-C., retracent l'existence des douze premiers empereurs : leur naissance et leur mort, leur avènement, leurs guerres, leurs crimes, leurs moeurs et les événements marquants de leur règne. Tout à la fois oeuvre d'historien et oeuvre littéraire, elles se sont imposées comme un véritable modèle pour les historiographes des siècles suivants.
Ce livre est un manuel - la partie centrale d'un manuel - publié pour la première fois en 1963. Au début des années soixante, Fernand Braudel fut en effet sollicité pour rédiger un texte consacré aux grandes civilisations, désormais au programme des classes de terminale, un projet qu'il défendait de longue date. La langue de Braudel, éloquente et limpide, sa volonté de transmettre à un jeune public une vision de l'Histoire nourrie des autres sciences humaines, servirent à merveille la conviction qui fut toujours la sienne : «Enseigner l'histoire, c'est d'abord savoir la raconter.» Par son ambition - il s'attache successivement à l'Islam, à l'Afrique noire, à l'Extrême-Orient, aux civilisations européennes, à l'Amérique et à la Russie - et la clarté de son propos, Grammaire des civilisations est devenu un classique traduit en plusieurs langues.
De nombreuses découvertes récentes ont enrichi la connaissance que nous avons de nos ancêtres. Pourtant, l'histoire des premiers hommes nous fait toujours l'effet d'un labyrinthe... En prenant pour guide Pascal Picq, le lecteur parcourra sans se perdre cette longue évolution, qui commence au coeur de l'ère tertiaire, durant le long Miocène (de 23 à 5,5 millions d'années) ; il découvrira nos lointaines origines communes avec les singes, bien plus humaines qu'on ne l'imaginait !
Ce captivant récit se poursuit jusqu'à l'apparition d'Homo erectus, dont l'émergence vers 1,9 million d'années marque un tournant dans l'histoire de la vie : ses innovations techniques et culturelles, comme le feu et la cuisson, interagissent avec son évolution biologique, modifiant son corps, son cerveau et la société. Une étape décisive qui témoigne de la puissance du genre Homo, le premier grand singe qui a dominé l'ancien monde.
Sombre repoussoir des Lumières et de la modernité, le Moyen Âge peine à se défaire de sa mauvaise réputation. Pourtant, au coeur de ce millénaire se loge une singulière période d'essor et d'élan créateur, déterminante pour la destinée du monde européen.
Réputé anarchique, le système féodal repose en fait sur une organisation sociale efficace. L'Église, colonne vertébrale de la société, assure la cohésion des entités locales tout en conférant à la chrétienté une prétention à l'universalité. Les manières de percevoir et de vivre le temps, l'espace, l'au-delà, l'âme et le corps révèlent les paradoxes d'une civilisation exceptionnellement féconde.
Ainsi, le féodalisme, traditionnellement considéré comme l'âge de la stagnation et de l'obscurantisme, pourrait bien être l'un des ressorts oubliés de la dynamique par laquelle l'Occident a imposé sa domination à l'Amérique d'abord, puis à l'ensemble de la planète. Porté par une thèse originale, La Civilisation féodale s'est imposé dès sa première parution comme une somme incontournable sur l'histoire médiévale.
Le 14 octobre 1929, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir passent leur première nuit ensemble. À Paris, la jeune Lee Miller se précipite chez Man Ray pour y apprendre le métier de photographe ; de son côté, F. Scott Fitzgerald noie son chagrin avec Ernest Hemingway au bar du Ritz car Zelda ne l'aime plus. À Berlin, la très magnétique Marlene Dietrich entame le tournage de L'Ange bleu. Une carrière l'attend. Bertolt Brecht, lui, multiplie les amantes mais c'est pour mieux servir la grande cause du théâtre... Les années trente filent dans une douce folie et les moeurs, affranchies de toute entrave morale, encouragent les aventures amoureuses. Liberté adulée le jour et la nuit, jusqu'à l'étourdissement, avant l'exil, brutal, auquel sont bientôt condamnés quelques-uns des artistes de cette grande fresque reconstituée dans le moindre détail.
De fil en aiguille, d'écrivain en artiste, de star en poète, Florian Illies brosse par petites touches une autre histoire de l'entre-deux-guerres, celle des amours saisis dans leur tumulte, à l'orée d'une guerre qui s'annonce inévitable depuis le krach boursier et la prise du pouvoir par les nazis...
« En Amérique, toutes les lois sortent en quelque sorte de la même pensée. Toute la société, pour ainsi dire, est fondée sur un seul fait ; tout découle d'un principe unique. On pourrait comparer l'Amérique à une grande forêt percée d'une multitude de routes droites qui abordent au même endroit. Il ne s'agit que de rencontrer le rond-point, et tout se découvre d'un seul coup d'oeil. »
Lettre de Tocqueville au comte de Molé, 1835.
Tocqueville est allé chercher aux États-Unis non pas un modèle, mais un principe à étudier, et une question à illustrer et à résoudre ; à quelles conditions la démocratie, si elle est un état de société, devient ce qu'elle doit être aussi, faute de conduire à une dictature : un état de gouvernement...
L'Amérique lui offre, comme société et comme culture, une démocratie pure. Et un gouvernement déduit de cette démocratie pure. Une anti-Europe dans les deux cas, sans héritage aristocratique, sans legs absolutiste, sans passions révolutionnaires. Avec, au contraire, une tradition de libertés locales collectives. Par tous ces traits, mutatis mutandis, un objet de réflexion capital pour les Européens.
François Furet
En rendant son éclat à un monde délavé, La Couleur du temps offre une nouvelle histoire du monde totalement inédite avec 200 photographies colorisées prises entre 1850 et 1960.
Et l'Histoire reprend vie... C'est un récit continu qui nous emmène de la guerre de Crimée à la guerre froide, de l'âge de la vapeur à la conquête spatiale, de l'ère des empires à celle des superpuissances. C'est une scène où dansent titans et tyrans, meurtriers et martyrs, inventeurs et futurs destructeurs de monde, où hommes et femmes retrouvent leur place.
Le lecteur est saisi : les clichés qu'il croyait connaître acquièrent une dimension tout autre, presque troublante. Ceux qu'il découvre bouleversent sa vision et altèrent son regard sur les grands événements des cent années ayant présidé au monde qui est le nôtre. Les couleurs nuancées, variées, riches d'une gamme infinie de teintes soigneusement choisies infléchissent les portraits, les photos de foules, de guerres, de désastres, de libérations et de célébrations...
"L'un des caractères distinctifs des siècles démocratiques, c'est le goût qu'y éprouvent tous les hommes pour les succès faciles et les jouissances présentes. Ceci se retrouve dans les carrières intellectuelles comme dans toutes les autres. La plupart de ceux qui vivent dans les temps d'égalité sont pleins d'une ambition toute à la fois vive et molle ; ils veulent obtenir sur le champ de grands succès, mais ils désireraient se dispenser de grands efforts. Ces instincts contraires les mènent directement à la recherche des idées générales, à l'aide desquelles ils se flattent de peindre de vastes objets à peu de frais et d'attirer les regards du public sans peine. Et je ne sais s'ils ont tort de penser ainsi ; car leurs lecteurs craignent autant d'approfondir qu'ils peuvent le faire eux-mêmes et ne cherchent d'ordinaire dans les travaux de l'esprit que des plaisirs faciles et de l'instruction sans travail."
A. de Tocqueville
"Je le dis une fois pour toutes : j'aime la France avec la même passion, exigeante et compliquée, que Jules Michelet. Sans distinguer entre ses vertus et ses défauts, entre ce que je préfère et ce que j'accepte moins facilement. Mais cette passion n'interviendra guère dans les pages de cet ouvrage. Je la tiendrai soigneusement à l'écart. Il se peut qu'elle ruse avec moi, qu'elle me surprenne, aussi bien la surveillerai-je de près. Peut-être un tel effort me sera-t-il facilité par mes travaux antérieurs. Dans mes ouvrages sur la Méditerranée ou sur le capitalisme, j'ai aperçu la France de loin, parfois de très loin, comme une réalité, mais au milieu d'autres, pareille à d'autres. J'arrive ainsi tard dans ce cercle tout proche de moi, si j'y arrive avec un plaisir évident : l'historien, en effet, n'est de plain-pied qu'avec l'histoire de son propre pays, il en comprend presque d'instinct les détours, les méandres, les originalités, les faiblesses. Jamais, si érudit soit-il, il ne possède de tels atouts quand il se loge chez autrui. Ainsi, je n'ai pas mangé mon pain blanc en premier, il m'en reste pour mes vieux jours."
Au soir de sa vie, le grand historien nous livre avec rigueur et passion les clefs de l'histoire de France : il en observe, fasciné, l'extrême diversité ; analyse les mouvements profonds et silencieux qui traversent l'espace ; situe les enjeux de son milieu géographique et de sa position européenne ; révèle les poids énormes des origines lointaines, des techniques et des traditions qui ont modelé son paysage.