Quand les livres ont-ils été inventés ? Comment ont-ils traversé les siècles pour se frayer une place dans nos librairies, nos bibliothèques, sur nos étagères ? Irene Vallejo nous convie à un long voyage, des champs de bataille d'Alexandre le Grand à la Villa des Papyrus après l'éruption du Vésuve, des palais de la sulfureuse Cléopâtre au supplice de la philosophe Hypatie, des camps de concentration à la bibliothèque de Sarajevo en pleine guerre des Balkans, mais aussi dans les somptueuses collections de manuscrits enluminés d'Oxford et dans le trésor des mots où les poètes de toutes les nations se trouvent réunis. Grâce à son formidable talent de conteuse, Irene Vallejo nous fait découvrir cette route parsemée d'inventions révolutionnaires et de tragédies dont les livres sont toujours ressortis plus forts et plus pérennes. L'Infini dans un roseau est une ode à cet immense pouvoir des livres et à tous ceux qui, depuis des générations, en sont conscients et permettent la transmission du savoir et des récits. Conteurs, scribes, enlumineurs, traducteurs, vendeurs ambulants, moines, espions, rebelles, aventuriers, lecteurs ! Autant de personnes dont l'histoire a rarement gardé la trace mais qui sont les véritables sauveurs de livres, les vrais héros de cette aventure millénaire.
Né du chaos européen du début du Moyen Âge, le chevalier monté et en armure a révolutionné la guerre et est très vite devenu une figure mythique dans l'histoire. Des conquérants normands de l'Angleterre aux croisés de la Terre sainte, du héros de la chanson de geste au preux du roman arthurien, des amateurs de tournoi aux chevaliers-troubadours, Le Chevalier dans l'Histoire, de la grande médiéviste Frances Gies, brosse un tableau remarquablement vivant et complet de la chevalerie, de sa naissance à son déclin. Le chevalier apparaît d'abord en Europe comme un mercenaire sans foi ni loi avant de devenir l'étendard de la chrétienté puis un soldat de métier au service des rois. Frances Gies nous fait partager sa vie quotidienne, faite de joutes et de batailles, de pillages et de rançons, mais aussi de dévotion et de pèlerinage, et souvent sanctionnée par l'errance et une mort précoce. Elle nous fait revivre l'aventure des héros du Moyen Âge qui ont joué un rôle historique, comme Bertrand du Guesclin, Bayard et Sir John Fastolf, qui inspira le Falstaff de Shakespeare, ou les grands maîtres des Ordres militaires qu'étaient les Templiers, les Hospitaliers et les chevaliers teutoniques.
Rome et le monde romain comme on ne vous les a pas racontés, et comme les manuels ne peuvent pas les raconter. Depuis Romulus jusqu'à la chute de l'empire, ce livre secoue nos certitudes et tend parfois un miroir à nos préoccupations contemporaines, parlant de fake news et de politique-spectacle, d'accès à la citoyenneté entre asile généralisé et fermeture, d'images paradoxales de l'Urbs, de génocides étalés avec complaisance à côté de quelques discours humanitaires, d'une hostilité prétendue au progrès scientifique, de représentations du limes construites en fait au XIXe siècle, d'une extraordinaire et bien réelle capacité à gérer de terribles défaites (parlera-t-on de résilience ?), de l'escamotage des langues de l'empire autres que le latin et le grec, du moins jusqu'aux prêcheurs chrétiens, de l'importance des prodiges et de la multiplicité des cultes locaux, ou encore des « invasions barbares » et du foisonnement des hypothèses sur la chute de l'empire... L'érudition et la familiarité s'associent en un récit passionnant et décapant.
Les sociétés anciennes vivaient sous la menace de la précarité, du chômage, des crises et des épidémies ; mais elles vivaient aussi le retour des famines et les rues des villes envahies de mendiants criant à la rage de la faim. Comment les hommes ont-ils vécu ces misères en France au Moyen Âge et à la Renaissance ?
Pour mener l'enquête, Jean-Louis Roch traque, recense et décrypte leurs mots : les lieux communs, les proverbes, et l'expression des sentiments, comme la honte ou la pitié. Il explore, à côté des archives, la littérature et en particulier le théâtre à destination populaire, les farces et les Mystères. Ce faisant, il multiplie les points de vue sur ces gueux sans souci, sans six sous : le travail précaire, l'obsession de la faim et de la ruse, la fraude et la violence, les mille et une stratégies de survie et les rêves de festins plantureux et du pays de Cocagne. Il raconte l'ambivalence du rapport aux pauvres, qui font rire au théâtre et que l'on chasse dans la rue : « truand », « maraud », « bélître », « gueux » ; des termes à l'étymologie mystérieuse.
En détaillant le vocabulaire de la misère à la fin du Moyen Âge, c'est l'ensemble de l'imaginaire social des humbles et un pan entier de la culture populaire qui se découvrent chemin faisant. Les mots des pauvres témoignent d'une très ancienne conception magique du monde, qui allait s'effacer lors de son désenchantement. Cela valait la peine d'aller voir à la fois du côté de la langue et du côté de l'histoire.
Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, alors que l'Empire britannique s'effondre et que rien ne ralentit l'expansion de Staline, l'équipe du nouveau secrétaire d'État George C. Marshall planifie la reconstruction de l'Europe de l'Ouest comme un rempart contre l'autoritarisme communiste. Cette entreprise massive, ambitieuse et coûteuse, confronte aussi bien les Européens que les Américains à une vision en désaccord avec leur histoire et leurs conceptions personnelles. Dans sa lancée, elle entraîne la création de l'OTAN, de l'Union Européenne et de l'identité occidentale telles qu'elles façonnent encore les relations internationales. Dans cet essai haletant, Benn Steil s'attache aux années critiques de 1947 à 1949 et redonne vie aux épisodes essentiels qui ont jalonné, dans l'Europe d'après-guerre, la dégradation des relations américano-soviétiques : le coup de Prague, le blocus de Berlin et la partition de l'Allemagne. À chaque fois, il nous est donné d'observer et comprendre la détermination de Staline à détruire le plan Marshall et miner l'influence américaine en Europe. À partir de nouvelles sources américaines, russes, allemandes et d'autres archives européennes, Benn Steil livre une histoire limpide du plan Marshall. Il change de manière pérenne notre façon de percevoir ce plan, l'émergence de la Guerre Froide mais aussi l'après-Guerre Froide, pendant laquelle le futur de l'Europe et l'imbrication des États-Unis dans celui-ci, sont une fois encore en jeu.
Au soir du 1er décembre 1934 - jour de l'assassinat du chef du Parti de Leningrad, Sergueï Kirov -, Staline ordonne d'élargir et d'accélérer la répression de tous les suspects de la « préparation d'actes terroristes ». Le signal de la plus gigantesque répression policière du XXe siècle est donné. Pendant quatre ans, des milliers de responsables du régime soviétique vont être arrêtés, emprisonnés et souvent exécutés. La liquidation de tous les anciens opposants à Staline va s'étendre, par cercles concentriques, à la majeure partie des cadres dirigeants. Les accusés, soumis à des procès publics, avoueront unanimement les crimes les plus abominables et les plus invraisemblables. Une fraction notable de l'opinion internationale quant à elle se cantonnera dans une expectative prudente, voire s'aveuglera sur ces mascarades judiciaires. Nicolas Werth retrace ici, parallèlement au récit mouvementé des « grands procès », la genèse et la dynamique de ce moment paroxystique de la logique totalitaire. Il le fait en tenant compte des données nouvelles et des discussions historiques récentes. Au-delà des banalités sur le culte de Staline ou des généralités sur le totalitarisme, l'auteur apporte des clefs d'interprétation qui permettent de mieux cerner cette période tragique.
Pendant quelque trois mille ans, le bassin méditerranéen a été un foyer de civilisation de premier ordre. Il a exercé une influence majeure sur les affaires du monde.
David Abulafia retrace ici l'histoire d'une mer à hauteur d'homme, de la guerre de Troie à la piraterie, des batailles navales entre Carthage et Rome à la diaspora juive des mondes hellénistiques, de la montée de l'Islam aux Grands Tours du XIXe siècle jusqu'au tourisme de masse du XXe siècle.
Plutôt que d'imposer une unité artificielle à l'activité foisonnante qui se déroule à la surface de la « Grande Mer », David Abulafia insiste sur sa diversité, qu'elle soit ethnique, linguistique, religieuse ou politique.
Au coeur de sa thèse se trouve l'idée que la prospérité de cités maritimes telles qu'Alexandrie, Trieste, Salonique, Venise et beaucoup d'autres, a reposé pour une large part sur leur capacité à accueillir peuples, religions et identités et à leur permettre de coexister : la Méditerranée a incarné pendant des millénaires ce lieu exceptionnel où religions, économies et systèmes politiques se sont rencontrés, affrontés, influencés et finalement assimilés.
David Abulafia combine la recherche historique la plus exigeante avec le style enlevé du conteur. Son histoire de très longue durée a été unanimement saluée comme une splendide réussite.
Sur fond de retour de la guerre en Europe, ce livre d'entretiens retrace la trajectoire intellectuelle de l'historien Stéphane Audoin-Rouzeau, dont l'oeuvre a contribué à transformer notre vision de la Première Guerre mondiale et à renouveler en profondeur notre approche du fait guerrier et des violences combattantes.
Dialogue à bâtons rompus entre deux spécialistes, laissant apparaître accords et désaccords, La Part d'ombre souligne la difficulté pointée par Stéphane Audoin-Rouzeau à regarder la guerre de près et bien en face. Interrogeant nos seuils de tolérance, nos refus de voir, nos aveuglements comme nos illusions les plus tenaces, il éclaire d'un jour très cru tout ce qui alimente notre déni occidental face à la violence de guerre, à ses atrocités, alors que, jour après jour, leurs images font le tour du monde.
Pythagore hante l'imagination contemporaine, sans représenter toutefois bien plus qu'un nom associé à des découvertes mathématiques. Pourtant, pour les anciens, Pythagore faisait partie des sages incontournables. Il aurait même inventé le mot « philosophie ». Dans cette étude précise et accessible, Christoph Riedweg retrace les contours possibles de cette figure entourée de légendes et de récits accumulés tout au long de l'Antiquité.
Il dégage ainsi les traits probables de sa personnalité, les composantes de sa pensée comme celle de ses successeurs et brosse un portrait de la secte qu'il fonda en Italie du Sud dans le dernier tiers du VIe siècle av. J.-C. De l'approche philosophique jointe à l'histoire et à la sociologie, il résulte une description possible de la vie de Pythagore, de son enseignement, mais aussi de sa postérité jusqu'à nos jours.
Les Grecs le jugent fixé d'avance et pensent avoir au moins six moyens de le découvrir. Certains sont bien connus, comme le recours aux devins ou aux oracles, mais d'autres ne manqueront pas de surprendre : qui aurait pensé qu'au temps du sage Platon existaient des pratiques magiques proches de celles du vaudou ?
Il faut sans doute aussi apporter des nuances aux idées reçues, que les récentes découvertes de l'archéologie et l'analyse précise des textes littéraires amènent à réviser. Quelle était la place réelle des devins ? Que demandait un Grec à Apollon et à Zeus, lorsqu'il les consultait à Delphes, à Dodone ou ailleurs ? Était-ce le sort futur d'une guerre ou d'une cité, ou celui d'un olivier ? Enfin, les Grecs croyaient-ils vraiment à un avenir immuable ? En consultant les dieux, ne cherchaient-ils pas tant à connaître l'avenir qu'à l'orienter dans un sens désiré, à trouver ce qui restait au fond de la boîte de Pandore après qu'elle eut déversé tous les maux sur l'humanité, c'est-à-dire l'espérance ?
« Sur l'immense passé de la Méditerranée, le plus beau des témoignages est celui de la mer elle-même. Il faut le dire, le redire. Il faut la voir, la revoir. Bien sûr, elle n'explique pas tout, à elle seule, d'un passé compliqué, construit par les hommes avec plus ou moins de logique, de caprice ou d'aberrance. Mais elle resitue patiemment les expériences du passé, leur redonne les prémices de la vie, les place sous un ciel, dans un paysage que nous pouvons voir de nos propres yeux, analogues à ceux de jadis. Un moment d'attention ou d'illusion : tout semble revivre. »
On l'a compris. Ce livre est le fruit d'un vieil amoureux de la mer Intérieure qui en dévoile pour nous les balbutiements enrichis d'un savoir encyclopédique. L'historien des grands espaces et des longues durées apporte son métier et sa vision à la Préhistoire et aux antiques civilisations qui, jusqu'à l'accomplissement de la conquête romaine, ont bordé et fait la Méditerranée.
D'où une vision très libre et stimulante de ces civilisations dans leur milieu géographique, les mouvements de leurs populations, les conflits qui opposent nomades et sédentaires, l'interminable évolution technique de la domestication du feu à l'écriture, et la mise en situation de chaque grande réalisation culturelle des premiers moments de vie en Mésopotamie à l'épanouissement de la civilisation romaine...
Des pages qui, à travers les peintures de mégalithes, de pyramides, de temples grecs ou de basiliques se découpant dans une lumière d'azur, nous renvoient l'image d'un passé éternellement présent.
Une guerre ignorée fait rage au Yémen depuis 2015. Dévastant le pays, elle a poussé à l'exil des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants qui ont fui dans la cité-État de Djibouti, longtemps pré carré de la France en mer Rouge. Alexandre Lauret a recueilli les témoignages d'une centaine de ces réfugiés au camp Markazi d'Obock, au nord de Djibouti, entre 2018 et 2020. Mémoires de la guerre, ils forment le premier récit sur ce conflit qui oppose les puissances en devenir de la région, l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l'Iran. Les personnages de ce livre évoquent les terribles combats qu'il fallait fuir. Ils racontent également une autre histoire, universelle, celle de l'exil et de l'urgence humanitaire : la vie dans un camp de réfugiés des Nations-Unies planté au milieu du désert, les événements qui s'y déroulent, les tracas du quotidien, l'attente, les espérances et les déceptions de chacun. En permanence ressurgit un autre monde, celui de ce Yémen d'avant-guerre qui a maintenant cessé d'exister. Restent les souvenirs, où se mêlent images de violence et nostalgie de la terre natale.
« Comment savez-vous que c'est un missile de moyenne portée ? » Telle est la première question du président américain John F. Kennedy.
Ce mardi 16 octobre 1962, la crise de Cuba débute. Elle sera la confrontation la plus dangereuse de la guerre froide et le moment le plus périlleux à ce jour de l'histoire américaine. Ce que ses interlocuteurs ignorent, c'est que le président vient d'actionner le système d'enregistrement du Bureau ovale, consignant toutes les réunions secrètes du Comité Exécutif du Conseil de Sécurité Nationale durant les douze jours de la crise. Il sait qu'il a rendez-vous avec l'Histoire.
Patiemment retranscrits et analysés par Sheldon M. Stern, ces enregistrements secrets nous plongent au coeur de discussions dignes d'un thriller haletant. Stern documente le fait que JFK et son administration portaient une part substantielle de responsabilité dans la crise. Les opérations secrètes menées à Cuba, notamment les efforts visant à éliminer Fidel Castro, avaient convaincu Nikita Khrouchtchev que seul le déploiement d'armes nucléaires pouvait protéger Cuba d'une attaque imminente. Cependant, Kennedy se méfiait profondément des solutions militaires aux problèmes politiques.
Effrayé par la perspective d'une guerre nucléaire, il n'a cessé de dissuader les décideurs politiques d'un conflit apocalyptique, mesurant chaque mouvement et contre-mouvement : à tout prix, éviter ce qu'il appelait, avec une brutale éloquence, « l'échec final ».
Quant à Sheldon M. Stern, il a réalisé le rêve de tout historien : « Être la petite souris cachée dans la pièce où tout se joue, lors de l'un des moments les plus dangereux de l'Histoire de l'humanité. Avoir le privilège de savoir ce qui s'est réellement passé » écrit-il. Comme nous aujourd'hui en le lisant.
Licornes, dragons, griffons : la vie des hommes du Moyen Âge, de l'An Mille à la Renaissance, est peuplée de quantité de créatures fabuleuses, mais aussi réelles et redoutées. Les saints Pères du désert, les moines et des prédicateurs dignes de foi assuraient que des bêtes féroces et des créatures monstrueuses et hybrides envahissaient la terre. Et comme ces chimères étaient envisagées à la lumière de la Création, elles suscitaient des interrogations fondamentales. Un cynocéphale était-il véritablement un homme à tête de chien ? Se pouvait-il que Dieu eût créé des créatures aussi horribles ? Au Moyen Âge, l'humanité vivait, en âme et conscience, dans un paradis perdu. De même qu'était perdu à jamais, après la transgression d'Adam et Ève, le merveilleux rapport de subordination que les animaux, créés pour servir Adam, avaient entretenu avec les hommes. Ces derniers ne disposaient pas d'armes efficaces pour affronter les loups, les ours et les sangliers, et à plus forte raison les lions, les tigres et les panthères, au cas où ils les auraient rencontrés. Ce qui n'empêchait pas leur imagination fertile de venir à leur secours pour surmonter leurs craintes. Dans cet essai somptueusement illustré, la grande médiéviste italienne Chiara Frugoni observe et analyse minutieusement des tapisseries, des miniatures, des mosaïques, des sculptures, des tableaux et des encyclopédies illustrées pour nous montrer les mille facettes de la tradition séculaire, aussi symbolique que réelle, qui liait les hommes et les animaux. Autant d'images commentées qui rendent vivante et palpitante cette époque lointaine dont a hérité notre culture.
Barbares aux yeux des Grecs et des Romains, figures poétiques pour les Romantiques, héros nationalistes chez les historiens du XIXe siècle, les Gaulois gardent pour nous un certain mystère. Leur brillante civilisation, épanouie seulement en quelques siècles, a été submergée par celles de ses voisins, peut-être parce qu'elle en était trop proche. Grâce aux sources littéraires antiques et aux résultats les plus récents de l'archéologie, c'est à une redécouverte des Gaulois que ce guide convie.
S`il est vrai qu'à ses débuts la Révolution russe de 1917 a pu se parer des apparences d'une émancipation du peuple juif, il n'en demeure pas moins que, sous Staline, le vieil antisémitisme a toujours été complaisamment alimenté, couvé, tel une lame de fond prête à refaire surface à la moindre occasion.
Vaksberg retrace les différentes étapes de la discrimination des Juifs et de leur persécution : l'établissement par la Grande Catherine de l'« aire de sédentarisation » (les juifs ne pouvaient résider que dans certaines provinces de l'Empire), la politique d'exclusion des différents tsars au cours du XIXe siècle, jusqu'à l'organisation des pogromes massifs par Nicolas Ier et Nicolas II, puis la vague d'espoir suscitée par la chute de la monarchie.
Dès la prise du pouvoir effective par Staline, l'attitude envers les juifs sera marquée d'une grande ambiguïté qui virera progressivement à une politique ouverte de persécution, menée sous le prétexte d'un combat « antinationaliste ». L'apogée de ce mouvement de balancier sera atteint après la guerre, avec l'ass assinat du grand acteur Mikhoels, puis le tristement célèbre complot des « blouses blanches » : des médecins du Kremlin, pour la plupart d'origine juive, censés avoir comploté pour assassiner Staline, dont le procès - on le sait aujourd'hui - devait servir de prélude à une grande vague de persécutions antisémites.
« C'est tout l'art de Peter Burke que d'avoir su, très tôt, décrire les ancrages les plus anciens de l'histoire culturelle autant que ses frontières labiles et ses lentes métamorphoses au fil des décennies. Dans un récit entraînant et magistral, l'ouvrage relie ainsi la naissance de l'histoire culturelle à la grande tradition germanophone qui court de Jacob Burckhardt à Aby Warburg en passant par Johan Huizinga, retrace ensuite les débats suscités par la notion de culture dans les milieux marxistes orthodoxes et hétérodoxes (notamment via Eric J. Hobsbawm et Edward P. Thomson en Angleterre), explore la controverse européenne autour de la notion de "culture populaire", détaille les tensions générées partout avec les différentes formes d'histoire sociale et économique, révèle les connexions inédites créées avec la microstoria et l'Alltagsgeschichte, souligne la façon dont l'histoire culturelle s'est nourrie de certains grands théoriciens (Bahktine, Foucault, Elias, Bourdieu, Goffman, de Certeau, etc.), rappelle aussi la manière dont elle fut fécondée par l'anthropologie culturelle américaine longtemps mal connue en France (Clifford Geertz et Marshall Sahlins) et dont elle fut portée enfin par l'avènement du constructivisme en philosophie.
Une fois refermé le livre, une fois ces constellations intellectuelles mieux repérées, l'histoire culturelle nous paraît soudain plus vaste et plus riche encore que nous ne l'avions imaginé au départ. » Hervé Mazurel
Aux centaines de livres intitulés Socrate, quel est l'intérêt d'en ajouter un ? Simplement parce que celui-ci le regarde autrement, tentant de le saisir en même temps que sa cité. En ajoutant « l'Athénien » à son nom, son titre fait allusion à ce regard nouveau ; d'un mot, il s'agit d'aller de lui à son monde et retour. Mais pourquoi lui ? Parce qu'il a vécu dans la seconde partie du Ve siècle à Athènes, parce que la cité offre sur sa propre histoire la plus riche quantité de sources et parce que, plus qu'un autre, il fut décrit par ses contemporains et leurs successeurs : étudier le Socrate d'Athènes, c'est jouir d'un trésor inégalé d'informations.
Mais on ne fait pas d'histoire sans question et, dans ce face à face, c'est Athènes qui l'emporte. Cet ouvrage n'est ni un livre de philosophie ni une biographie, ses fins ne sont pas son procès, sa mort. Toute révérence gardée, je me sers de Socrate comme d'un révélateur, un réactif. Ne jamais le regarder sans son contexte - qui me l'explique -, m'aidant à faire de sa cité un portrait, certes fort partiel, mais plus juste. Ce livre jette sur ce transfert d'intérêt trois éclairages analytiques majeurs : lui et ses relations (la société ); lui vivant, s'y mouvant (son corps - le sens qu'il lui donne et son image) ; lui et sa conception, son usage du surnaturel : quelles croyances, quelle piété chez lui et les Athéniens ?
Au carrefour de l'Orient et de l'Occident, passerelle jetée entre l'Europe et l'Asie, la Turquie occupe une position clé au Moyen-Orient et en Asie centrale. Elle ne représente aujourd'hui qu'une faible partie de l'Empire ottoman qui, jusqu'à la Première Guerre mondiale, s'étendait encore de l'Adriatique à l'Arabie méridionale. Au cours du XXe siècle, grâce à Mustafa Kemal, le pays passe en quelques années du stade d'État islamique multinational à celui d'une république laïque résolument ouverte vers l'Occident. La Turquie a accompli une incroyable révolution politique, sociale, économique et culturelle, où se conjuguent tradition et modernité.
La vie du Père Joseph (1577-1638), surnommé par ses détracteurs « l'éminence grise du cardinal de Richelieu » dont il était ministre, est un saisissant paradoxe.
Le jour, ce chef de redoutables services spéciaux dirige les opérations sur le champ de bataille. Son exercice impitoyable du pouvoir réussit à prolonger les horreurs de la guerre de Trente Ans.
La nuit, ce fondateur d'un ordre de religieuses contemplatives prie ou compose des poèmes.
Pourquoi Aldous Huxley, le romancier de Contrepoint et du Meilleur des Mondes, s'est-il fait le biographe de ce prodigieux méconnu, mélange de Talleyrand et de saint Jean de la Croix ?
Parce que, dit-il, « la création d'un tel homme dépasserait le génie de n'importe quel artiste littéraire ». Certainement aussi parce que le Père Joseph, politicien mystique, s'est vu, le jour comme la nuit, en bâtisseur d'un monde meilleur...
Traduit pour la première fois en France, La Vie dans un château médiéval est un classique qui a initié des millions de lecteurs anglophones aux secrets du monde médiéval. Et qui a profondément inspiré George R. R. Martin, le créateur de A Game of Thrones. À partir du remarquable château de Chepstow, à la frontière de l'Angleterre et du Pays de Galles, mais aussi des plus admirables châteaux forts français, les grands médiévistes Frances et Joseph Gies nous offrent un portrait saisissant de ce qu'était la vie quotidienne de l'époque et nous montrent l'importance du rôle qu'y jouait le château fort. Les Gies ont le don de rendre à la vie les hommes et les femmes qui vivaient dans et autour du château, le seigneur et la dame, les chevaliers et les soldats, les serviteurs et les paysans, les troubadours et les jongleurs. Nous y découvrons comment les seigneurs et les serfs se vêtaient et se lavaient, ce qu'ils buvaient et ce qu'ils mangeaient, quels étaient leurs loisirs et leurs occupations, leurs codes de conduite sexuelle, leurs principes d'ordre et de solidarité. Nous y apprenons le rôle essentiel que jouait l'honneur dans la culture médiévale, le processus d'initiation auquel se soumettaient les chevaliers, l'importance des fêtes religieuses et des liens personnels, et pourquoi le château fort était autant un rempart contre les violences qu'une source de conflit et un enjeu de pouvoir. Remarquablement documenté, et aussi plaisant à lire qu'un roman, La Vie dans un château médiéval est l'ouvrage de référence pour quiconque a envie de se plonger, l'espace de quelques heures, dans cette époque fascinante.
Écrivains et historiens, Frances Gies (1915-2013) et Joseph Gies (1916-2006) ont écrit plus de vingt ouvrages sur le Moyen Âge, dont beaucoup ont été des best-sellers.
« Telle est la sombre grandeur proposée désormais à l'historien contemporain : consacrer ses efforts à discréditer les auteurs anciens en montrant à quel point ils avaient été tributaires de leurs aveuglements ; souligner les lacunes, la myopie, l'extravagance de leurs jugements ; débusquer préjugés de classe et stéréotypes de genre ; dresser l'inventaire, la généalogie de leurs successives réinterprétations par chaque génération. Tenir en revanche leurs oeuvres pour un réservoir d'exemples, de modèles, de situations utiles pour guider notre réflexion, comme le recommandait Plutarque, les considérer même comme des chefs-d'oeuvre d'une "inaltérable actualité", parce qu'ils "savent dire ce que l'homme a d'humain" serait rester à la surface des choses, "dans l'éther de la culture classique". Se flatter de poursuivre avec ces vieux morts un dialogue que nos différences et notre éloignement relèguent au rang de vain songe relèverait de la naïveté, de l'amateurisme et de l'outrecuidance. J'ai écrit ce livre parce que je pense tout le contraire. » Répudiant tout anachronisme simplificateur, mais refusant aussi de considérer le legs de l'Antiquité comme une beauté morte, inféconde, Michel De Jaeghere mobilise sa formation d'historien des idées, sa longue fréquentation des auteurs antiques, et sa familiarité avec la politique contemporaine pour affronter une redoutable question : les Anciens sont-ils, en politique, encore de bon conseil ?
Suivre « pas à pas » et « avec franchise » toute la série de ses études : c'est précisément ce que Vico (1668-1744) se proposait de faire dans son autobiographie Vie de Giambattista Vico écrite par lui-même, parue en 1728.
Mais, parce que placée dans la perspective de la polémique contre la diffusion du cartésianisme à Naples, cette reconstruction a posteriori eut pour effet de léguer une image du penseur toute orientée vers un but : la conception de la Science nouvelle.
Rompant avec cette artificielle perspective, Raffaele Ruggiero raconte une autre histoire de Vico. Il rend leur pleine autonomie à toutes les expériences intellectuelles du savant penseur : sa formation, ses études juridiques, son engagement littéraire, son invention d'une nouvelle rhétorique de la science. Il révèle la multiplicité des inspirations culturelles qui ont façonné sa physionomie unique de philosophe et d'écrivain, et l'articulation complexe de ses intérêts scientifiques destinés à remodeler l'encyclopédie des savoirs à l'aube de la modernité.
Convoquant toutes ses oeuvres, le replaçant dans son contexte, celui d'un protagoniste de la République des Lettres à l'époque des Lumières, Raffaele Ruggiero expose le rapport ambigu et passionnant de Vico à ses sources et à ses fantômes polémiques.
Maurice Garçon (1889-1967) fut l'un des plus grands avocats de son temps.
De 1912 à sa mort, il a consigné presque chaque soir les événements, petits et grands, dont il était le témoin ou l'acteur.
Ce premier volume de son journal inédit couvre, parfois heure par heure, la guerre, la défaite, l'Occupation et la Libération. À cinquante ans, l'avocat est alors au sommet de son art. Dans ces chroniques, il révèle aussi des qualités d'observation et un talent d'écriture enviables. Il y a du Albert Londres chez Maurice Garçon. Curieux de tout, il sillonne Paris et la province, furète, recoupe, rédige, avec le mérite constant, et rare, de s'interdire toute réécriture : c'est un premier jet qu'on lit sur le vif.
Maréchaliste de la première heure, il fait volte-face à l'armistice et, après le vote des pleins pouvoirs à Pétain, ne cessera plus de fustiger « le Vieux ». Fureur patriote, chagrin sans pitié, colère, espoir, désespoir. Honte de la collaboration. Virulence contre les nouvelles lois de Vichy. Son journal déborde. Portraits, anecdotes, détails méconnus foisonnent.
Croisées au Palais de justice, les figures du barreau, souvent têtes d'affiche de la politique, deviennent familières. Maurice Garçon connaît tout le monde, est de tous les grands procès, des dossiers criminels aux affaires politiques.
Ses plaidoiries érudites ont fait de lui, dès avant guerre, un avocat littéraire, voire mondain, futur académicien. Toute une galerie de personnalités en vue défile dans ses pages, écrivains, peintres, comédiens, éditeurs.
Nous voici conviés à une ahurissante traversée des années noires, histoire immédiate haletante.
Pascal Fouché est historien et éditeur.
Pascale Froment est journaliste et écrivain.